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Oeuvres présentées sur cette page :

  • Folksongs
  • Harpes éoliennes
  • Nativité
  • L’Eau et le Vin
  • Les tentations de Saint Antoine
  • Poème
  • Quatuor lyrique
  • Passacaille
  • The Bells
  • Bleu et Or
  • Fil d’Ariane

  • Trois méditations
  • Anastasima
  • Six haïkus / 6つの俳句
  • La Sonnerie de Saint Serge de Paris
  • Sonnerie de La Roche-Guyon
  • Osmoglas

Folksongs

Folksongs #1 – Alexandre Damnianovitch
Folksongs #2 – Alexandre Damnianovitch
Folksongs #3 – Alexandre Damnianovitch
Folksongs #4 – Alexandre Damnianovitch
Folksongs #5 – Alexandre Damnianovitch

Par Nolwenn Korbell, soprano, et la Camerata Gregoriana – Direction : Alexandre Damnianovitch

L’extraordinaire intuition musicale de Nolwenn Korbell, ainsi que la beauté de sa voix m’ont inspiré pour composer « Folksongs », un cycle de sept morceaux pour voix accompagnée d’un orchestre à cordes. Tel un écho, les instruments démultiplient la voix soliste et deviennent « l’habillage » de la mélodie originelle. 

Le cycle se compose d’un corpus serbe, constitué de quatre mélodies, et d’un corpus italien, qui en comprend trois. 

Le corpus serbe alterne des couples de mouvements lents et rapides. 

Le premier chant, où la jeune mariée exalte sa beauté comme seul et unique cadeau qu’elle compte offrir à la noce qui arrive (« Oustaï, oustaï … »)  est suivi d’une ronde dansée rituelle probablement d’origine païenne (« Lazi, Lazo, Lazare »). Le deuxième couple de mélodies décrit d’abord une jeune lavandière sur le bord du Danube, qui laisse entrevoir la blancheur de sa peau (« Platno béli »), puis un songe qui commence comme un rêve bucolique et se termine dans un cauchemar sanguinaire (« Tchouvala maïka »).

Le corpus italien débute par un chant de Passion (« Santa Crucidda ») dont le rythme évoque la lente et pénible marche vers le Golgotha. Le deuxième chant (« Vicariote ») relate le destin d’un détenu dans la prison sicilienne de Vicaria, oublié de tous, même de sa mère. Le dernier chant (« La Pagliara ») est un rituel païen mettant en scène des jeunes filles qui dansent pour appeler la pluie.


Harpes éoliennes

Harpes éoliennes – Alexandre Damnianovitch
Par l’Ensemble instrumental du concours de composition « André Jolivet » – Direction : Daniel Chabrun

« Harpes éoliennes » est inspirée des écrits de Gaston Bachelard, notamment son livre « L’air et les songes » 1
En voici quelques extraits :  « Tout le ciel du soir retentit d’un chœur miraculeux d’alouettes (…) C’était un cantique d’ailes, un hymne de plumes et de pennes, tel que n’en eut pas un plus vaste le Séraphique … C’était la symphonie vespérale de tout le printemps ailé … (La symphonie) montait, montait sans pauses (comme monte et comme chante l’alouette). Et peu à peu, sous le psaume sylvain, s’émut une musique faite de cris et d’accents, convertis en notes harmonieuses par je ne sais quelle vertu de la distance et de la poésie …/… Et les cloches sonnaient comme sur les montagnes bleues ». 2

« Et le vent était comme le regret de ce qui n’est plus, était comme l’anxiété des créatures non formées encore, chargé de souvenirs, gonflé de présages, fait d’âmes déchirées et d’ailes inutiles »3

“Heard melodies are sweet, but those unheard
Are sweeter; therefore, ye soft pipes, play on;
Not to the sensual ear, but, more endear’d,
Pipe to the spirit ditties of no tone …

Les mélodies que l’on entend sont douces, mais celles que l’on n’entend pas
Sont plus douces encore ; aussi, tendres pipeaux, jouez toujours,
Non pas à l’oreille sensuelle, mais plus séduisants encore
Modulez pour l’esprit des chants silencieux … » 4


1 Gaston Bachelard, L’air et les songes, Librairie José Corti, Paris, 1943
2 Gabrielle d’Annunzio, La contemplation de la mort, op. cit., page 105
3 Gabrielle d’Annunzio, La contemplation de la mort, op. cit., page 262
4 Keats, Ode à l’urne grecque, traduction E. de Clermont-Tonnerre, op. cit., page 281


Nativité

Au sein du groupe ARSIS Théâtre Vocal je cultivais – parmi d’autres styles musicaux – des chants issus de la tradition orthodoxe serbe. Il s’agissait de mélodies simples, accompagnées d’un bourdon rudimentaire (la tenue d’un ou de deux sons) provoquant des dissonances passagères. 

C’est ce qui a inspiré mon désir de composer une œuvre basée sur ce principe. Ainsi j’ai conçu « Christmas Carol », pour chœur à voix égales a cappella, sur le texte de saint Romanos « le Mélode », célèbre moine, hymnographe et compositeur du 6ème siècle. 

Primée au concours international de composition ARTAMA en République Tchèque, l’œuvre a été ensuite interprétée en France par la Maîtrise de Bretagne sous la direction de Jean-Michel Noël. Devant le succès auprès du public et devant l’intérêt des interprètes, j’ai décidé d’ajouter six autres pièces sur le même thème. Ces sept pièces constituent ensemble le cycle « Nativité ». 

En composant ce cycle, j’ai mis en œuvre mon rêve : imaginer comment serait la musique sacrée orthodoxe serbe à la fin du 20ème siècle si elle n’avait pas subi une interruption culturelle d’environ 500 ans, due à l’occupation ottomane. À cette fin de « reconstruction mentale de l’histoire musicale », je me fondais sur l’évolution de la musique sacrée occidentale, mise en parallèle avec la musique populaire vocale serbe. 

Cette démarche n’était pas un procédé cérébral : j’avais un plaisir réel à composer cette musique lumineuse et joyeuse, créer un lien entre le chant populaire séculaire et la création contemporaine individuelle, et établir une passerelle entre mes activités d’interprète et celle de compositeur. J’étais également guidé par mon intuition et par un sentiment d’appartenance à une entité plus vaste. En effet, étant composée en 1999, « Nativité » était ma manière de résister à la barbarie qui était en train de bombarder mon pays natal.

1. « Polyphonie » de l’icône 

Nativité – Alexandre Damnianovitch
Par La Maîtrise de Bretagne – Direction : Jean-Michel Noël
Nativité, Eglise Saint Démétrios, Kosovo, Serbie

L’icône de la Nativité parvient à raconter une histoire qui se déroule sur plusieurs jours, sur une seule image. Au centre, Marie avec l’enfant Jésus enveloppé dans les langes ; en haut, les anges annonçant la Bonne Nouvelle ; sur le bord gauche, les rois-mages apportant les offrandes au Messie ; sur le bord droit les bergers, prévenus par les anges de la Bonne Nouvelle, arrivant pour s’incliner devant le nouveau-né ; en bas à gauche – Joseph assis, le regard perdu, la tête reposant sur une main, en proie à des doutes quant à la virginité de Marie ; à droite, l’enfant Jésus en train de prendre son premier bain. 

2. Le temps de l’icône

Nativité – Alexandre Damnianovitch
Par La Maîtrise de Bretagne – Direction : Jean-Michel Noël
Nativité, Andreï Roublev, 16ème siècle

Racontant plusieurs histoires en même temps, l’icône donne aussi la possibilité de voir le temps qui s’écoule : le temps entre le moment où les roi-mages, guidés par l’étoile, arrivent à cheval (en haut à gauche) et celui où ils entrent pour s’incliner devant le nouveau-né (au centre à droite) ; le temps entre la naissance de l’enfant, enveloppé dans ses langes (au centre) et son premier bain (en bas à droite) ; le moment de la conversation entre Joseph et son mystérieux interlocuteur (que certains commentateurs identifient comme étant le Diable déguisé en berger, venant tenter Joseph au moment de son tourment). 

3. La fin des temps

Nativité – Alexandre Damnianovitch
Par La Maîtrise de Bretagne – Direction : Jean-Michel Noël
Nativité, un disciple d’Andréï Roublev, 16ème siècle

Selon une tradition populaire, Jésus n’est pas né dans une étable mais dans une grotte, représentée ici au centre de l’icône. Cette grotte est identique à celle qui se trouve au pied de la croix sur l’icône de la Crucifixion, et c’est de cette même grotte que sort Lazare ressuscité ; c’est également par elle que le monde souterrain est symbolisé dans l’icône de la Descente du Christ aux enfers. Les langes dans lesquels est enveloppé le nouveau-né sont exactement les mêmes que les bandelettes qui enveloppent le corps du Christ sur l’icône de la Mise au tombeau. 

4. Icône contemporaine

Nativité – Alexandre Damnianovitch
Par La Maîtrise de Bretagne – Direction : Jean-Michel Noël
Père Grégoire Krug, 20ème siècle

L’iconographie est un art rigoureusement codé, respectant des règles strictes quant à la disposition des personnages, leur posture, leur taille … que l’iconographe se doit de respecter. Pourtant il n’existe pas deux icônes identiques, et l’icône de la Nativité du Père Krug – tout en respectant les canons du genre – se distingue des autres : l’espace y est plus restreint, plus intime, un seul berger présent souffle dans le shofar pour annoncer au monde la Bonne Nouvelle … Les couleurs sont plus sombres, évoquant une atmosphère nocturne, où seule luit la lumière des auréoles dorées.

5. Vierge à l’enfant

Nativité – Alexandre Damnianovitch
Par La Maîtrise de Bretagne – Direction : Jean-Michel Noël
Monastère de Detchani, Kosovo, Serbie, 13ème siècle

Dans la typologie des icônes de la Vierge à l’enfant, la plus courante est celle où la mère et l’enfant sont joue contre joue, dans un rapport de tendresse. On y retrouve les couleurs chaudes et « terriennes » des icônes de Roublev, toutes les nuances de l’ocre, de l’ocre-jaune, de l’ocre-rouge, de l’or … et cette mystérieuse couleur du vêtement de Marie, un noir, qui – « éclairé » par les couleurs environnantes – prend leurs teintes. Le regard pensif et « absent » de Marie, que l’on remarque sur toutes les icônes où elle est représentée, est à rapprocher de la phrase de Luc : «  … elle retenait tous ces événements en les interprétant dans son cœur ».

6. Vierge à l’enfant

Nativité – Alexandre Damnianovitch
Par La Maîtrise de Bretagne – Direction : Jean-Michel Noël
Khilandar, monastère serbe au Mont-Athos, Grèce

L’enfant et la mère sont représentés dans une posture plus « égalitaire », comme dans une conversation. J’ai toujours connu cette icône dans cet état, endommagée, avec des étendues écaillées … Je n’essaie même pas de la reconstituer dans mon imagination, je la prends comme telle, comme je l’ai toujours connue. S’il venait à quelqu’un l’idée de la restaurer, je pense que j’aurais du mal à l’accepter, je ne la reconnaîtrais plus … 

7. Vierge à l’enfant « de Vladimir » 

Nativité – Alexandre Damnianovitch
Par La Maîtrise de Bretagne – Direction : Jean-Michel Noël
Andréï Roublev, 16ème siècle

Sur cette icône, on retrouve la position intime de la mère avec son enfant. Tout est concentré sur trois couleurs : les nuances de l’ocre – la peau des deux personnages, le fond de l’icône, les cheveux de l’enfant, le noir – ce mystérieux noir du vêtement de Marie, enrichi cette fois de quelques tâches de rouge et des reflets du bleu, et le rouge – qui forme un ensemble passant du vêtement de l’enfant à la bordure du voile de la mère. Et puis, un dernier rappel – une tâche de rouge sur les lèvres de Marie, comme si le peintre voulait rendre un délicat hommage à son humanité, à sa beauté féminine.


L’Eau et le vin

L’Eau et le vin – Alexandre Damnianovitch
Par l’Orchestre Symphonique de Saint-Malo – Direction : Alexandre Damnianovitch

« L’Eau et le vin » est le premier des huit mouvements -dont six sont terminés à ce jour- de la symphonie « Osmoglas ». Cette symphonie est basée sur le système octotonal byzantin Octoéchos, dont les différents modes transmettent à l’auditeur trois types d’états d’âme, répertoriés par les grands ascètes et ermites : le diastaltique (du grec diastelô = ouvrir, éteindre …), qui exprime la louange, la stimulation, l’élévation, le systaltique (du grec systelô = resserrer, contracter, ensevelir …), qui exprime le sentiment de contrition, de repentir et de douleur et le esychastique (du ezychazô= être tranquille, serein, paisible et ezychia = paix, silence, repos …) qui exprime le sentiment de paix, de sérénité, d’apaisement des passions …

Les Noces de Cana, Monastère de Kalénitch

« L’Eau et le vin » relève de cette dernière catégorie. Son titre fait référence à la fresque « Les Noces de Cana » du monastère serbe Kalenitch, qui dépeint le premier miracle accompli par le Christ – la transformation de l’eau en vin. L’art du monastère Kalenitch est représentatif de l’ « École de Morava » (voir le texte relatif à «Bleu et or»). La disposition des trois personnages centraux et le raffinement du coloris rappellent l’icône de la Trinité d’Andreï Roublev. La tendresse et la délicatesse du sfumato de la fresque serbe rappellent la douceur des peintures de la Renaissance italienne.


Les tentations de Saint Antoine

Les tentations de Saint Antoine – Alexandre Damnianovitch
Par Saint George Strings – Direction : Alexandre Damnianovitch
Les Tentations de Saint Antoine, Martin Schongauer, vers 1470-1475

La très pittoresque représentation de Saint Antoine luttant avec les démons n’existe presque pas dans l’iconographie orthodoxe. Ce caractère pittoresque est d’ailleurs la principale différence entre l’iconographie chrétienne de l’Orient et celle de l’Occident. Alors que la première privilégie le rôle de l’icône comme « réalité transfigurée » et évite toute sorte de réalisme matériel, la seconde s’inscrit, au cours de l’histoire, dans des représentations réalistes (dont certaines outrancières – allant jusqu’à représenter le Christ sur la Croix avec un corps qui est déjà dans un processus de décomposition), dans lesquelles une certaine théâtralité prédomine, au détriment de la prière. 

Ainsi le thème des tentations de saint Antoine ne fait pas partir de mon univers culturel et spirituel initial. Il m’apparaît évident que cette « Tentation de Saint Antoine » de Martin Schongauer – que j’ai découvert en venant à Paris – n’est pas une image devant laquelle on peut prier et se recueillir. Ce n’est pas une image sacrée, mais un tableau qui utilise la thématique religieuse pour permettre à l’artiste de donner libre cours à sa création personnelle.  

Néanmoins, sans correspondre à ma spiritualité et à ma foi, j’aime et admire cette iconographie pour ce qu’elle parvient à exprimer : d’abord cette étrange lévitation, cette apesanteur surnaturelle ; ensuite, cet agglutinement des corps monstrueux, agité et dense au point où l’on ne distingue plus à qui appartient tel ou tel membre ; enfin, le contraste entre l’agitation extrême des monstres qui essaient de troubler la sérénité de l’ermite, et la paix absolue de son visage, comme si ces monstres n’étaient qu’un rêve … qui va s’estomper dès le réveil. 

« Encore un jour ! un jour de passé !
Autrefois pourtant, je n’étais pas si misérable ! Avant la fin de la nuit, je commençais mes oraisons ; puis, je descendais vers le fleuve chercher de l’eau, et je remontais par le sentier rude avec l’outre sur mon épaule, en chantant des hymnes (…/…) A des heures réglées je quittais mon ouvrage ; et priant les deux bras étendus je sentais comme une fontaine de miséricorde qui s’épanchait du haut du ciel dans mon cœur. Elle est tarie, maintenant. Pourquoi ? … »
Gustave Flaubert, La tentation de Saint-Antoine

« Un jour, sur le point de manger, étant debout pour prier à la neuvième heure, il se vit lui-même ravi en esprit. Chose étonnante, debout, il se vit lui-même hors de lui-même, comme conduit à travers les airs par certains personnages ; ensuite, il en vit d’autres, amers et cruels, debout dans l’air et voulant l’empêcher de monter. Ses conducteurs le défendaient, les autres demandèrent s’il leur était soumis et voulurent lui faire rendre des comptes depuis sa naissance … »
Saint Athanase, Antoine Le Grand, père des moines

« … Ayant reconnu que Jésus était là, il dit : « Où étiez-vous, bon Jésus ? Où étiez-vous ? Que n’étiez-vous ici dès le commencement pour me prêter secours et me guérir de mes blessures ! Le Seigneur lui répondit : « Antoine, j’étais ici, mais je restais te regarder combattre … »
Jacques de Voragine, Légende Dorée


Poème

Poème – Alexandre Damnianovitch
Par Stanko Maditch, violon, et l’Orchestre Symphonique de Saint-Malo – Direction : Alexandre Damnianovitch

Les jeunes filles traversaient les champs en chantant un air rituel*. Leurs voix résonnaient d’une manière harmonieuse, pure et joyeuse, et emplissaient tout l’espace, tout l’univers … comme si elles venaient du ciel ; la nature entière résonnait de ces voix, l’air chaud au-dessus des champs et dans les forêts fraîches (dont des arbres hauts et touffus ne laissaient passer aucun rayon de soleil).

 La résonnance de leurs voix était si puissante que l’on pouvait les croire très proches de nous, comme si elles venaient de l’intérieur de notre corps ; nos oreilles et nos têtes résonnaient de la puissance de leurs voix. Et cependant, elles semblaient venir du lointain, d’un autre monde, ou d’un autre temps.

Nous étions éveillés, et pourtant à chaque instant il nous semblait que tout ceci n’était qu’un rêve, comme si nous étions retournés dans notre enfance … ou encore avant cela, avant la vie même, dans une époque où nous n’étions pas encore. Et cependant ces voix semblaient nous porter vers l’avenir, vers un autre monde et un autre temps … tous deux pleins d’espoir, de joie, de lumière et de paix.

Note personnelle préalable à la composition de « Poème ».

« Avant la fin du jour, nous rentrions chargés de nos sacs, et nous faisions halte en bordure d’un taillis pour reprendre haleine et attendre la tombée de la nuit. Alors on entendait dans le lointain une trompe de chasse sonnant l’hallali, puis un silence solennel s’abattait sur nous (…) « Maintenant il faut partir », disait ma mère. Seigneur, que la nuit tombe vite ici ».

Danilo Kis, Jardin, cendre, Gallimard, 1971


* L’introduction orchestrale de « Poème » est réellement une citation du chant « Ми идемо преко поља » (Nous traversons le champ), mélodie populaire serbe accompagnant un rite agraire païen.


Quatuor lyrique

Quatuor lyrique, Elegia – Alexandre Damnianovitch
Par le Quatuor Castagneri
Quatuor lyrique, Furioso – Alexandre Damnianovitch
Par le Quatuor Castagneri
Quatuor lyrique, Passacaglia – Alexandre Damnianovitch
Par le Quatuor Castagneri

Bien que les dictionnaires généraux et les dictionnaires de musique désignent comme  « lyriques » les œuvres poétiques qui expriment les « sentiments personnels et intimes de l’auteur », les compositeurs se décident rarement à qualifier leurs œuvres comme telles. Alban Berg l’a fait dans sa « Suite lyrique » pour quatuor à cordes, Edvard Grieg a quant à lui composé des « Pièces lyriques » pour piano. Pour ma part, j’ai fini par succomber à ce terme pour cette œuvre, dont les deux mouvements extrêmes cultivent une mélancolie persistante. Au milieu d’elles, le Furioso est là juste pour briser un rêve et permettre à un autre rêve de naître.

« Le poète a été mis en train (…) par une espèce d’excitation rythmique, de répétition et de balancement verbal, de récitation mesurée, un peu à la manière des vociférations populaires de l’Orient. On le voit qui se frotte les mains, qui se promène de long en large, il bat la mesure, il grommelle quelque chose entre ses dents. Et peu à peu, sous cette impulsion régulière, entre les deux pôles de l’imagination et du désir, le flot des paroles et des idées commence à jaillir. Toutes les facultés sont à l’état suprême de vigilance et d’attention, chacune prête à fournir ce qu’elle peut et ce qu’il faut, la mémoire, l’expérience, la fantaisie, la patience, le courage intrépide et parfois héroïque, le goût, qui juge aussitôt de ce qui est contraire ou non à notre intention encore obscure, l’intelligence surtout qui regarde, évalue, demande, conseille, réprime, stimule, sépare, condamne, rassemble, répartit et répand partout l’ordre, la lumière et la proportion. Ce n’est pas l’intelligence qui fait, c’est l’intelligence qui nous regarde faire (…) 

De l’émotion sort non pas l’obscurité, mais une lucidité supérieure (…) Même l’intelligence ne fonctionne pleinement que sous l’impulsion du désir (…) De même qu’avant la voix il y a le souffle, avant l’expression il y a le désir de s’exprimer (…) mais dans ce souffle même, dans ce désir, il y a déjà l’ordre (…).»

Paul Claudel, Lettre à l’abbé Brémond sur l’Inspiration poétique, 1927


Passacaille

Passacaille – Alexandre Damnianovitch
Par Saint George Strings – Direction : Alexandre Damnianovitch

« Passacaille » est une transcription pour orchestre à cordes du troisième mouvement du Quatuor lyrique. 


The Bells

The Bells – Alexandre Damnianovitch
Par le chœur et l’orchestre de la Radio de Belgrade – Direction : Zvonimir Hacko

Stéphane Mallarmé et Charles Baudelaire, illustres traducteurs de la poésie d’Edgar Allan Poe en langue française, ont déclaré que son poème « The Bells » était intraduisible ! Ils l’ont tout de même traduit … et ont ainsi confirmé l’exactitude de leur déclaration. En effet, aucune autre langue ne peut exprimer les sensations et les sentiments humains que le poète attribue aux cloches. Seul le rythme de l’anglais originel peut les dépeindre.

Les clochettes joyeuses au début :
How they tinkle, tinkle, tinkle,
In the icy air of night !

Les cloches sérieuses ensuite :
How it swells !
How it dwells
On the Future ! – how it tells

Puis les cloches effrayées :
How they clang, and clash, and roar !
What a horror they outpour

Ou cette vision apocalyptique :
And who tolling, tolling, tolling,
In that muffled monotone,
Feel a glory in so rolling
On the human heart a stone –

Seule l’alternance du rythme des vers à cinq et sept syllabes peut donner la vision d’une course tragique et désespérée :
Keeping time, time, time,
In a sort of Runic rhyme,
To the throbbing of the bells –
Of the bells, bells, bells -,

Le poète a divisé son poème en quatre parties, clairement séparées par des chiffres : dans la première il décrit les « cloches d’argent » qui « tintent joyeusement dans l’air glacial de la nuit » ; après elles, il évoque les « tendres cloches d’or » dans « l’air embaumé de la nuit » ; ensuite ce sont des « lourdes cloches d’alarme, cloches de bronze » qui content une « histoire de terreur » dans « l’ouïe étoilée de la nuit », alors qu’à la fin les « cloches de fer » sonnent une « monodie solennelle » dans le « silence de la nuit ». Le poème débute dans une joie de la nuit de Bethléem pour se terminer dans les ténèbres apocalyptiques du Jugement dernier.

Que décrit ce poème se servant des symboles mystérieux du chemin des cloches insouciantes en argent, des cloches mûres en or, puis celles, effrayées, en bronze pour terminer sur le glas de cloches en fer ? Quel cataclysme décrivent-elles, celle d’un être humain, d’une civilisation, de l’humanité entière ? Le poète – qui sait être très explicite sur le sens et la genèse de ses écrits (son explication de la genèse du « Corbeau » est légendaire) – ne dit pas un mot sur « Les Cloches » !

En revanche il nous laisse un poème très musical, dans lequel il a déjà inscrit le rythme régulier, une scansion effrénée qui laisse l’impression de la course essoufflée et désespérée, qui ne peut avoir qu’une fin tragique. C’est ce rythme musical inscrit dans le texte qui m’a clairement indiqué de composer l’œuvre sur le texte original anglais.

La musique suit fidèlement le texte : partant des sonorités aigües des voix féminines et d’un tempo rapide, la musique s’oriente vers le registre médian des ténors, dans un tempo plus lent, pour arriver – tout en conservant une régularité imperturbable – dans le registre sombre des voix de basses, dans un tempo pesant et fatigué … La musique n’« interprète » pas le texte, elle le suit fidèlement … avec une seule exception : vers la fin, quand il est clair que l’issue sera tragique, la musique s’échappe soudainement, l’espace de quelques secondes, de l’étreinte étouffante du texte et de son destin fatal, pour s’élever à nouveau vers les hauteurs initiales, rapides, insouciantes et joyeuses … comme si cette descente inexorable n’était qu’un mauvais rêve.


Bleu et Or

Bleu et Or – Alexandre Damnianovitch
Par Smilka Isakovitch, clavecin

Le titre « Bleu et or » évoque les fresques du monastère serbe Manassia (Ressava), dont l’art architectural et fresquiste est représentatif de l’ « École de Morava » qui a marqué le début du 15ème siècle. L’École de Morava s’épanouit alors que l’armée ottomane est en train d’envahir le pays.

« La splendeur de ces fresques, qui frappe aussitôt, est basée sur le rapport entre les vastes surfaces recouvertes de feuilles d’or, les fonds des peintures et les plans des vêtements colorés de coûteuse lazulite. Au moment où la menace de l’invasion turque planait sur la Serbie (…) les peintres de Ressava étaient tellement absorbés par leur tâche que leurs âmes de poètes semblaient ne pas éprouver la peur ni pressentir la débâcle imminente. Ils étaient passionnés et croyaient à la beauté. Vivant pour leur art, quelques uns d’entre eux ont trouvé peut-être eux-mêmes la mort sous les sabots de la cavalerie turque. » *

Le poète Vasko Popa consacre à Manassia un des poèmes du cycle « Pèlerinages », extrait du recueil « Pays vertical » :

Bleu et or
Dernier anneau de l’horizon
Dernière pomme du soleil

Zoographe **
Jusqu’où va ton regard

Entends-tu la chevauchée nocturne
Allah-il-illallah

Ton pinceau ne tremble pas
Tes couleurs n’ont pas peur

La cavalerie approche
Allah-il-illallah

Zoographe
Que vois-tu au fond de la nuit

Bleu et or
Dernière étoile dans l’âme
Dernière infinité dans l’œil

La ligne mélodique sinueuse et ininterrompue de la composition « Bleu et or » évoque la finesse du dessin, le mouvement incessant du pinceau du fresquiste, la broderie raffinée des façades des monastères de l’École de Morava …


* Dr Vojislav Djuric, Resava (Manasija), Éditions Jugoslavija, Belgrade, 1966
** Littéralement « celui-qui-écrit-la-vie », terme ancien pour désigner un peintre d’icônes ou de fresques.


Fil d’Ariane

Fil d’Ariane – Alexandre Damnianovitch
Par Yoko Kaneko, piano Steinway

Il m’a été particulièrement difficile de donner un nom à cette composition. Finalement c’est la musique elle-même qui a suggéré son propre nom : cette mélodie ininterrompue qui tourne sur elle-même – que l’on entend dès le début de l’œuvre – m’a évoqué un déroulement dont on ne voit pas la fin. J’ai aussi songé à la mélodie introduisant le récit de Pimène dans « Boris Godounov » de Moussorgski, qui décrit le mouvement ininterrompu de la plume sur le papier, et au poème célèbre de Laza Kostitch, « Entre la veille et le songe », qui fait référence au tissage diurne que la nuit défait irrémédiablement. Et puis, comment ne pas penser aux Moïré, ces fileuses mythologiques qui déroulent le destin des humains depuis leur naissance jusqu’au moment où le fil est entièrement dévidé de la quenouille. Finalement, étant donné que les deux mélodies jouées par les deux mains du pianiste racontent chacune un destin différent, j’ai nommé l’œuvre « Fil d’Ariane », en référence au couple mythique de Thésée et Ariane et à leur destin tragique, dans ce labyrinthe qui les réunit et les sépare.


Trois méditations

Les « Trois méditations » sont conçues comme des paraphrases de mélodies populaires de Serbie. Les deux termes – paraphrase et méditation – sont appropriés pour ces trois morceaux, car, d’une part, ils sont des commentaires personnels de quelques extraits des mélodies populaires, et d’autre part, ils se déroulent dans une atmosphère sereine, proche de l’oraison intérieure.  Le cycle « Trois méditations » est dédié à la pianofortiste Yoko Kaneko, qui en est la commanditaire et qui en a assuré les premières exécutions publiques. 

Première méditation – Alexandre Damnianovitch
Par Yoko Kaneko, sur un pianoforte Conrad Graf *

La « Première méditation » est bâtie à partir d’un court extrait d’une complainte serbe du Kosovo (Јечам жњела Косовка девојка). Chantée par une voix soliste a cappella, cette complainte accompagne la moisson manuelle de l’orge. La longueur de chaque phrase est conditionnée par la durée du souffle humain dans ce chant de travail supposant un certain effort physique. Le balancement des sons, l’oscillation des harmonies et l’impression d’hésitation sont le résultat du rythme lent du souffle humain, qui tente de se mettre à l’unisson avec la respiration de l’univers.

Deuxième méditation – Alexandre Damnianovitch
Par Yoko Kaneko, sur un pianoforte Conrad Graf *

La « Deuxième méditation » est construite également à partir d’un chant populaire serbe du Kosovo (Дошла је сестра Јелена). Contrairement au précédent, celui-ci est une marche à l’allure décidée et volontaire. Dès le début du morceau l’accompagnement se détache de la mélodie, s’émancipe et devient un univers sonore autonome, tandis que la mélodie continue d’évoluer dans la couleur initiale. Ce n’est qu’à la fin du morceau que cet aspect volontaire de marche cède la place à une atmosphère plus rêveuse, dans laquelle va se dérouler un « hommage ». La tradition d’hommage existe dans tous les arts : les peintres peuvent représenter le portrait du commanditaire de l’œuvre, celui d’un maître vénéré, ou leur propre autoportrait, l’écrivain citera un confrère, un illustre prédécesseur ou le verset d’un livre sacré emblématique, le musicien introduira le thème d’un compositeur admiré … mais tous répondent à une condition indispensable – que leur propre œuvre ait une parenté évidente avec la source citée. Étant donné que le commanditaire des « Trois Méditations » est une artiste originaire du Japon, j’y ai introduit quelques extraits d’une mélodie populaire japonaise, parfaitement compatible avec l’univers sonore du chant traditionnel serbe.

Troisième méditation – Alexandre Damnianovitch
Par Yoko Kaneko, pianoforte Christopher Clarke **

La musique de la « Troisième méditation » est un mélange entre une mélodie populaire du sud de Serbie jouée à la cornemuse (Шарено пиле) et le chant sacré byzantin. Étonnant à première vue, ce rapprochement n’est pas illogique : les mélodies de ces deux styles musicaux sont accompagnées par un bourdon dans le registre grave. La stabilité harmonique qu’apporte le caractère immuable de ce bourdon permet à la mélodie de développer une grande liberté harmonique et mélodique. La sérénité générale de ce morceau est troublée à deux reprises par une mouvance qui m’évoque, personnellement, le moment décrit dans l’Évangile de Jean, parlant de l’ange qui vient agiter la surface de l’eau à la piscine de Bethzatha …


* Le pianoforte Conrad Graf a été construit à Vienne en 1826. Il  a été restauré par Edwin Beunk, un des plus grands restaurateurs actuels de claviers anciens. Celui-ci ne construit pas d’instruments neufs, se concentrant sur la restauration fondamentale, allant jusqu’à totalement démonter et remonter à l’identique les instruments.
** Le pianoforte Christopher Clarke, construit en 2004 spécialement pour Yoko Kaneko, est la copie exacte d’un instrument fabriqué à Vienne en 1800 par Anton Walter. Cet instrument respecte la tradition ancienne, notamment le fait qu’il ne comporte aucune pièce en métal. Tout y est construit en bois. 


Anastasima

Anastasima – Alexandre Damnianovitch
Par Yoko Kaneko, sur un pianoforte Conrad Graf *

L’œuvre « Anastasima » (du mot grec anastasis = résurrection) est bâtie à partir du chant  orthodoxe serbe « Le Christ est ressuscité », entonné le jour de Pâques. Il existe deux manières de mettre en musique cette hymne qui représentent pour moi deux visions de la Résurrection. La première, rythmique, vive et scandée, « verticale », symbolisant probablement le moment tumultueux où la pierre tombale se brise laissant sortir le Ressuscité, est propre à la tradition russe. L’autre, mélodique, lente et mélismatique, « horizontale », représentant déjà l’entrée dans une temporalité qui dépasse le temps terrestre, est cultivée dans les traditions orientale et grecque. Le chant serbe s’inscrit dans cette deuxième tradition, et l’œuvre « Anastasima » en adopte le caractère : après quelques secondes de balancement mélodique régulier et le tintement de cloches lointaines (image sonore de la simultanéité du temps cosmique et du temps terrestre), le chant débute avec une solennité processionnaire …


* Le pianoforte Conrad Graf a été construit à Vienne en 1826. Il  a été restauré par Edwin Beunk, un des plus grands restaurateurs actuels de claviers anciens. Celui-ci ne construit pas d’instruments neufs, se concentrant sur la restauration fondamentale, allant jusqu’à totalement démonter et remonter à l’identique les instruments.


Six haïkus / 6つの俳句

Six haïkus – Alexandre Damnianovitch
Par Yoko Kaneko, sur un piano Fazioli

Ce cycle de six pièces musicales est né de ma collaboration avec celle qui l’interprète ici – et à laquelle ce cycle est dédié – Yoko Kaneko. 

J’ai réalisé une transcription musicale du rythme et de la mélodie d’un texte poétique prononcé par elle en langue japonaise. Les mots de ces poèmes sont devenus les sons d’un thème musical. Ces compositions sont ainsi inspirées à la fois du contenu poétique qu’expriment ces vers, mais aussi de leur matière verbale rythmique et mélodique. 

Les haïkus de Bashô / 松尾芭蕉, le plus célèbre maître de ce genre poétique japonais, traduisent souvent une situation réellement vécue. Voici le contenu des six haïkus présentés ici. 

« Nos deux destins / 命二つの » évoque les retrouvailles, après vingt ans de séparation, entre le maître du haïku et son disciple.

« Mer agitée / 荒海や » relate le séjour de Bashô sur l’île de Sado le jour de la Fête des étoiles, où se rencontrent, selon la légende, deux étoiles, Véga et Altaïr, amants séparés par la Voie Lactée durant le reste de l’année.

« Tant et tant / さまざまの » décrit l’ambiance d’une soirée de présentation de haïkus, où les participants constatent qu’ils ont tous changé avec les années, tandis que les cerisiers restent toujours les mêmes, admirablement fleuris. 

« Pleine lune d’automne / 名月や » se déroule devant le petit pavillon où Bashô habitait et d’où il pouvait contempler à la fois la Lune et son reflet dans la marée montante qui arrivait au seuil de sa porte. 

« Pas cette tête / 顔に似ぬ » est la traduction libre du haïku « Que jaillisse un poème », où le maître reconnaît devant ses disciples la baisse de son inspiration à cause de son grand âge et où il regrette de ne plus pouvoir écrire avec la fraîcheur de la floraison des premiers cerisiers. 

« Le Chemin étroit des cimes / 山路来て » est une rencontre entre un pèlerin (Bashô lui-même) faisant un voyage de plus de 2000 kilomètres à pied et une violette sauvage surgissant devant lui au détour d’un sentier de montagne. 


La Sonnerie de Saint Serge de Paris

La Sonnerie de Saint Serge de Paris – Alexandre Damnianovitch
Par Yoko Kaneko

Tous les dimanches matin, depuis un demi-siècle environ, une sonnerie de cloches particulière retentit dans le 19èmearrondissement de Paris, à proximité du parc des Buttes-Chaumont. Il s’agit de l’église orthodoxe russe Saint-Serge, située au 93 rue de Crimée. En effet, en fuyant la révolution bolchévique dans les années 1920, de nombreux Russes sont venus s’installer à Paris, apportant avec eux certaines de leurs traditions ancestrales. Cette sonnerie en fait partie. Transmise de génération en génération, elle continue de vivre ici, à Paris. 

La composition « La Sonnerie de Saint-Serge de Paris » débute par l’imitation de cette sonnerie festive, jouée au piano, pour prendre son autonomie au bout de quelques secondes, et raconter sa propre histoire …  

Sur cet enregistrement on entend d’abord la sonnerie, exécutée par le chantre Milan Radoulovitch, puis la composition elle-même, jouée par Yoko Kaneko.


Sonnerie de La Roche-Guyon

Sonnerie de La Roche-Guyon – Alexandre Damnianovitch
Par Yoko Kaneko sur un piano Bösendorfer

La « Sonnerie de La Roche-Guyon » est inspirée des cloches de l’église de La Roche-Guyon, où se trouve également le château du même nom.

Cette œuvre est née de ma fascination pour les cloches d’églises, et de mon envie de relever le défi de concevoir un récit musical basé sur une seule note. La neutralité du son des cloches permet d’imaginer une multitude d’histoires (comme l’écrivait si bien Edgar Poe dans son poème « The Bells »), des évènements joyeux comme d’autres qui le sont moins, une expression de la splendeur comme de la misère depuis la cloche qui marque l’aube jusqu’à celle qui salue la tombée de la nuit.

Dans la « Sonnerie de La Roche-Guyon », la main droite du pianiste répète de manière obsessionnelle le même son, cette imperturbable réalité mécanique du temps, tandis qu’avec la main gauche se déploie un monde mélodique et harmonique qui mène vers un ailleurs, vers une autre vie.

La composition est dédiée à son interprète Yoko Kaneko et aux châtelains, le Duc Guy-Antoine et la Duchesse Yolaine De La Rochefoucauld.


Osmoglas

L’Octoéchos (Osmoglasnik en langue serbe, littéralement Huit-modes ou Huit-tons) désigne le système musical byzantin dont le principe est comparable à celui du chant grégorien : il se compose de huit modes différents qui expriment chacun un ethos (un état d’âme) qui lui est propre. Alors que le système grégorien attribue un caractère spécifique à chacun de ses modes (gravis, tristis, mysticus, harmonicus …), le système byzantin distingue trois ethos généraux : le diastolique (laudatif, exalté, joyeux …), le systolique (contrit, mélancolique, triste …) et l’hésychastique (serein, méditatif, calme …).

Chacun des huit mouvements du cycle Osmoglas pour piano débute par la citation d’un extrait du chant ancien de l’Osmoglasnik serbe, avant de se déployer librement en une paraphrase contemporaine. Cette citation se présente comme un « prélude » au sens des compositeurs prébaroques et baroques, où le prélude était composé de quelques arpèges et de bribes de mélodies improvisées, destinées à faire sonner l’instrument afin de vérifier son accord, de préparer l’exécutant à l’œuvre qu’il va interpréter et l’auditoire à son écoute. « Non seulement les préludes annoncent agréablement le ton des pièces qu’on va jouer, mais ils servent à dénouer les doigts et souvent à éprouver des claviers sur lesquels on ne s’est point encore exercé », écrit François Couperin dans son « Art de toucher le clavecin ».

Dans Osmoglas le compositeur a souhaité dénouer son imagination personnelle grâce à ces mélodies anciennes venues du fonds musical collectif.

Nous présentons ici les quatre premiers mouvements, enregistrés par sa dédicatrice et sa créatrice, Yoko Kaneko.

Le premier mouvement est inspiré du mode hésychastique, le dorien des anciens, qui le considéraient comme « pondéré, noble et serein ». Dans Osmoglas il revêt surtout un caractère méditatif.

Osmoglas (premier mouvement) – Alexandre Damnianovitch
Par Yoko Kaneko sur un piano Bösendorfer


Le second mouvement est inspiré du mode systolique, considéré comme « doux et plus douloureux ». La croyance dit que c’était à l’aide de ce mode qu’Orphée calma les animaux sauvages en Enfer. « Si ce mode est celui que nos ancêtres appelaient le lydien, son ethos a le caractère d’un homme mélancolique ou de quelqu’un qui transmet sa tristesse aux autres » dit un commentateur moderne.

Osmoglas (deuxième mouvement) – Alexandre Damnianovitch
Par Yoko Kaneko sur un piano Steinway


Le troisième mouvement suit le mode diastolique, « expansif, combattif et instigateur ». « Si l’on considère que ce mode est celui que les ancêtres appelaient le phrygien, il est sûr et téméraire, et incite à l’action » écrit le même commentateur, alors qu’un autre le compare à « une grande armée qui est bien organisée et prête pour la bataille ».

Osmoglas (troisième mouvement) – Alexandre Damnianovitch
Par Yoko Kaneko sur un piano Steinway


Le quatrième mouvement est inspiré d’un mode qui se présente comme une synthèse des modes précédents, allant de l’atmosphère lumineuse du mode hésychastique à l’aspect combattif du mode diastolique. Saint Jean Damascène (que l’on dit créateur du système octotonal) lui prête même des allures dansantes, et évoque le « battement des cymbales ».

Osmoglas (quatrième mouvement) – Alexandre Damnianovitch
Par Yoko Kaneko sur un piano Bösendorfer