
Alexandre Damnianovitch débute ses études musicales dans sa ville natale, Belgrade (Serbie), d’abord à l’école de musique élémentaire « Vatroslav Lisinski » (piano, solfège), puis au lycée musical « Josip Slavenski » (piano, solfège, chant choral, histoire de la musique, analyse des formes musicales, organologie, commentaire d’écoute, harmonie, contrepoint, composition). En parallèle de l’enseignement reçu au sein de ces institutions, il s’initie à la théorie de la musique byzantine auprès de Dr Dimitrije Stefanovic à l‘Académie Serbe des Arts et des Sciences (SANU), et à la direction d’orchestre dans la classe privée de Borislav Pascan.
Il participe activement à la vie musicale de sa ville, en tant que compositeur et pianiste au Centre Culturel Etudiant (Studentski Kulturni Centar – SKC), et comme co-fondateur de l’orchestre « La Jeune Philharmonie de Belgrade » (Mladi Filharmonicari Beograda), aujourd’hui orchestre « Borislav Pascan ».
Ses premières compositions sont écrites pour piano, influencées d’abord par des compositeurs s’inspirant des musiques populaires (Stravinsky, Bartok, Slavenski …), puis par la « Deuxième école de Vienne » (Schönberg, Webern, Berg), pour se tourner vers les musiques répétitives et minimalistes inspirées par les compositeurs Terry Riley, Phil Glass, Steve Reich et La Monte Young.
Après une première année au Conservatoire de Belgrade (Fakultet Muzickih Umetnosti – FMU), où il est reçu dans les classes de composition et de direction d’orchestre, il part à Paris pour s’inscrire à la classe de composition au Conservatoire National Supérieur de Musique. Il y est reçu à l’unanimité du jury en 1979, à l’âge de 21 ans. Il reçoit l’enseignement de composition de Serge Nigg et de Michel Philippot et celui d’analyse de Claude Ballif. Un style musical personnel commence à se dessiner, mais on perçoit encore l’influence de Lutoslawski et de Ligeti. Ayant obtenu un premier prix de composition à l’unanimité du jury en 1983, il commence une carrière de chef de chant et de chef de chœur à l’Opéra de Rennes.
Ces années-là sont marquées par une crise esthétique, dont la sortie s’effectuera en plusieurs étapes. La recherche de la nature méditative de la musique que lui inspire la monodie byzantine le conduira vers une esthétique proche de Giacinto Scelsi, sans qu’il soit réellement influencé par ce compositeur. Cette période créatrice est couronnée par l’œuvre « Harpes éoliennes », inspirée par les écrits de Gaston Bachelard. Cette œuvre est primée au concours international de composition « André Jolivet » en 1987.
L’étape suivante correspond à son intérêt renouvelé pour les musiques populaires et à l’activité de chef de chœur, fondateur et directeur musical de l’ensemble ARSIS-Théâtre Vocal, avec lequel il découvre le répertoire de musiques anciennes, Moyen Age et Renaissance. L’intérêt pour les musiques populaires le conduira à composer « Les Séries », une œuvre écrite en langue bretonne sur un texte emblématique de la culture celte. L’activité vocale, et en particulier la collaboration avec la chanteuse Nolwenn Korbell, donnera naissance à l’œuvre « Folksongs », basée sur des chants populaires serbes et italiens. Un autre fruit de l’expérience vocale avec ARSIS-Théâtre Vocal sera son œuvre « Christmas Carol » pour chœur de femmes, primée au concours international de composition ARTAMA, en République Tchèque. Le style musical de cette œuvre, que l’on peut qualifier de « personnel », est développé davantage dans le cycle de sept chants de Noël, « Nativité », où « Christmas Carol » est intégré en tête du cycle.
Ce style musical, que la musicologue Sylvie Nicéphor décrit comme « modalité contemporaine », reçoit l’approbation du public et des spécialistes.
La musicologue serbe Zorica Premate écrit : « C’est l’écriture d’un auteur qui possède un savoir-faire technique exceptionnel et une approche inhabituelle et nouvelle des éléments musicaux familiers (…) Ce qui en impose dans l’opus de Damnianovitch, est cette finition de la technique de la composition, soignée et raffinée, presque une sorte de codex de perfectionnisme, mais aussi la manière d’utiliser les moyens expressifs sonores d’une manière libérée et pétillante. Damnianovitch s’exprime de manière mûrement réfléchie, mais sans ostentation, et bâtit un discours qui est – avant tout – élégant, cohérent et logique. Sans se mettre en avant et sans des épanchements pathétiques, d’une expression presque intimiste, les œuvres de Damnianovitch sont accessibles aux auditeurs, sans suivre pour autant un de ces lieux communs dans la manière dont on aborde la tradition, qu’elle soit nationale ou européenne » (Zorica Premate, Compte rendu du concert d’auteur d’Alexandre Damnianovitch, Radio Belgrade II, 24 février 2003).
Sylvie Nicéphor écrit au sujet de « Folksongs » : « Dans les Folksongs se déploie une grande part de l’arsenal technique qui va constituer la « signature » du compositeur. S’appuyant sur une maîtrise certaine de l’écriture instrumentale, sur une analyse rigoureuse des textes d’origine et de leurs significations apparentes ou cachées, elle se fonde sur un principe d’économie des moyens (…) La mélodie elle-même devient harmonie, fournit les appuis cadentiels, se ramifie » (Sylvie Nicéphor, Alexandre Damnianovitch, De l’Orient à l’Occident, Journal of the Institute of Musicology of the Serbian Academy of Sciences and Arts, n° 5, 2005, page 173).
Le cycle « Nativité » est commenté par la musicologue serbe Ivana Perkovic : « une « lumière douce » rayonne des hymnes du cycle « Nativité » d’Alexandre Damnianovitch. Apaisées et mystérieuses, ces hymnes de Noël, dont les textes sont emplis de joie spirituelle – telles les représentations de l’iconographie byzantine – forment une atmosphère singulière « de lumière chaleureuse … qui frémit, se propage, est irrégulière, sans cesse changeante … ». Le compositeur a réussi (peut-être grâce à son expérience de chef de chœur interprétant la musique sacrée orthodoxe) à reconstruire et à transformer des strates de la tradition de manière à faire rayonner la beauté et la fantaisie » (Ivana Perkovic, Alexandre Damnianovitch, Nativité pour chœur de femmes, New Sound, International Magazine for Music, n° 22, Belgrade, 2003).
Sylvie Nicéphor écrit sur la « Nativité » : « Le travail d’Alexandre Damnianovitch repose sur le traitement de l’intervalle, l’usage de clusters mouvants, la mise en évidence de notes-pôles, les dissonances évitées, la réalisation s’effectuant toujours à partir d’un minimum de moyens (…) L’auditeur est transporté ainsi dans un univers où s’allient l’inaccessibilité du surnaturel de la luminosité à la limpidité d’un message. Cette œuvre contemplative est celle d’un compositeur disparaissant au profit du théologien, dont l’unique préoccupation est de mettre en exergue la parole sacrée tout en contribuant à enrichir le patrimoine religieux » (Sylvie Nicéphor, Alexandre Damnianovitch, De l’Orient à l’Occident, Journal of the Institute of Musicology of the Serbian Academy of Sciences and Arts, n° 5, 2005, page 175).
Une nouvelle étape est franchie grâce à la collaboration avec la pianofortiste et pianiste Yoko Kaneko. Bien que pianiste de formation, Alexandre Damnianovitch n’a jamais écrit pour son instrument depuis ses pièces dodécaphoniques datant de la période belgradoise, avec lesquelles il était admis au Conservatoire de Paris. La collaboration avec Yoko Kaneko lui fait retrouver les possibilités polyphoniques et expressives du piano, et lui fait découvrir le charme et la délicatesse du pianoforte. Ayant façonné une vision contemporaine de la tradition ancienne, populaire ou sacrée, dans les œuvres comme « Folksongs » ou « Nativité », Alexandre Damnianovitch continue de chercher son inspiration dans le patrimoine universel et dans la réalité sonore qui l’entoure. Les œuvres dédiées à Yoko Kaneko – le chant pascal serbe dans « Anastasima », le rythme et la mélodie de la langue japonaise dans « Six haikus », la sonnerie des cloches dans « La Sonnerie de Saint-Serge de Paris » et « La Sonnerie de la Roche-Guyon », les cantillations orthodoxes dans « Litanie » … témoignent de cette incrustation des sonorités environnantes dans le tissu musical.